Au bout de quelques jours, les lits de réanimation arriveront
à saturation dans les hôpitaux, qui sont déjà débordés et parfois contraints de trier les patients atteints de Covid-19, même s’ils sont dans un état grave, pour l’accès à des respirateurs artificiels…Que se passe-t-il en Tunisie et qu’attend le gouvernemen
pour recourir à la réquisition des cliniques privées à un moment où les Tunisiens subissent de plein fouet la pandémie ?
En Tunisie, la disponibilité des lits de réanimation réservés aux personnes atteintes de la Covid-19 est devenue le problème numéro un, à l’heure où le nombre d’hospitalisations liées au corona a atteint un niveau critique et les établissements publics de santé ont fait ce qu’ils peuvent avec les moyens que le gouvernement engage au service du secteur. Face à cette situation, qui risque de perdurer, Jed Henchiri, président de l’Organisation tunisienne des jeunes médecins (Otjm), s’inquiète de la disponibilité des respirateurs artificiels dans les hôpitaux et n’exclut pas un risque de saturation pour les jours qui viennent.
Qu’attend-on pour recourir à la réquisition ?
L’annonce a été, bel et bien, faite depuis le 18 octobre 2020 par le Chef du gouvernement, Hichem Mechichi, qui n’a pas exclu le recours à la fixation des tarifs et à la réquisition de cliniques privées pour la prise en charge des malades Covid-19. « Le malade, qui ne trouve pas un lit dans le secteur public, pourrait se rendre au secteur privé, et l’Etat le prendra en charge », a-t-il promis. Une décision qui a été approuvée, le lendemain, par le président de la Chambre syndicale des cliniques privées, Boubaker Zakhama, ayant confirmé que le secteur privé est prêt à appuyer les efforts de l’Etat en matière de prise en charge des malades et que les cliniques seront mobilisées pour accueillir les malades avec les tarifs que fixera le gouvernement et selon les dispositions qui seront mises en place. Cette annonce, qui ne cesse de susciter des interrogations et des controverses quant à la faisabilité de tels transferts de malades vers les établissements de santé privés, risque, aujourd’hui, de rester lettre morte, en l’absence de texte juridique ad hoc concernant ces cliniques.
« Même si la réalité est douloureuse et dure à accepter, il faut lui faire face! Le nombre de contaminations au coronavirus ne cesse de grimper depuis des semaines, les hôpitaux et les médecins du secteur public sont submergés par des malades pas comme les autres, alors que les cliniques privées sont dotées de davantage de moyens, d’autant plus que les lits de réanimation y sont plus nombreux… Au lieu de garder le silence et de nous laisser dans cette situation dramatique, en ces temps de crise, le gouvernement aurait pu réquisitionner un certain nombre de cliniques et leur imposer une nomenclature de tarification réduite des services rendus…Mais ce que nous vivons sur terrain nous démontre et nous confirme, jour après jour, que nous devons oublier cette fameuse réquisition, qui ne semble pas être une priorité pour ce gouvernement », précise Jed Henchiri, dans une déclaration accordée à La Presse.
Se préparer à un tsunami sanitaire…
Le jeune médecin n’a pas caché son inquiétude et son étonnement du laxisme du gouvernement qui, selon ses dires, jette l’éponge. « Dans les Etats qui respectent les droits de l’Homme et les biens de leur peuple, le recours à la réquisition est légitime et nécessaire afin de faire face à des besoins urgents, dans des circonstances extrêmement difficiles. Cette pandémie, qui nous a frappés en deux vagues virulentes, aurait conduit notre gouvernement à adopter de nombreux textes nécessaires à la gestion de la crise sanitaire, à la protection et à la continuité du système de santé. Une telle mesure permettrait, non seulement de réquisitionner tout bien et service, mais aussi de requérir toute personne nécessaire et prescrire toute mesure utile jusqu’à ce que cet état d’urgence prenne fin. Ce n’est que de cette manière que l’on peut juguler sérieusement la propagation de la pandémie, sinon, personne ne peut arrêter ce tsunami de coronavirus… Dans ce cas, il faut se préparer à une situation qui va s’accentuer dans les jours à venir», souligne Jed Henchiri.
Le corps médical en colère
Après plusieurs mois d’exercice et de lutte contre cette pandémie, suivis d’une grande déception de ne pas pouvoir maîtriser la situation et de ne pas pouvoir éviter des scénarios catastrophiques qu’ont connus certains pays, Jed Henchiri affirme qu’il ne peut pas exercer son métier comme avant, au vu de la gravité de la situation.
«A l’instar d’un bon nombre de mes collègues de l’armée blanche, dont certains d’entre eux ont même démissionné, j’ai gardé la maison pendant quelques jours, car je ne peux pas inviter les patients à aller mourir chez eux à la maison ! Avec ce manque flagrant de moyens et de lits pour les accueillir, les médecins des hôpitaux publics demandent aux malades atteints de la Covid-19, qui seront en détresse respiratoire, de rentrer chez eux, prendre des médicaments, tout en s’isolant dans une chambre privée.
Aujourd’hui, la situation est la suivante : ceux qui tombent malades doivent maintenant faire face à des défis au-delà de leurs maux et de leurs moyens parce que les hôpitaux publics n’ont pas les outils, nécessaires pour les accueillir…On ne peut pas supporter cette situation à l’heure où les cliniques privées ne font rien et ne prennent pas l’initiative pour diminuer les dégâts. Pis encore, elles exigent des sommes exorbitantes avant l’admission de patients, pouvant atteindre les 50 mille dinars pour une prise en charge dans le circuit Covid ! Qu’attend le gouvernement pour freiner cette hémorragie sanitaire, ou il se contente, toujours et encore, de pointer du doigt les citoyens en les accusant de relâchement?!», regrette-t-il.